3. La démocratie libérale : reconnaître la Loi : Locke (1632-1704)

Si on ne veut pas aboutir, à la manière de Hobbes, à la fascination de la puissance du souverain, maître de la religion dans la région, si on y voit un effondrement catastrophique de la pensée plutôt qu'une brillante conquête, il convient de repartir de l'origine, c'est-à-dire de revenir à considérer ce que l'on nommait, à l'époque, l'état de nature.

Pour Locke, cet état premier, originaire, est un état où tous sont également libres, en condition de réciprocité les uns par rapport aux autres. Tous sont libres, c'est-à-dire responsables d'eux-mêmes et de la conduite de leur vie, et ils le sont devant Dieu le Créateur, dont la volonté s'exprime par la Loi, naturelle ou morale, de l'égale liberté.

Il découle de cette situation originaire le droit, sinon le devoir, de se défendre en cas de menace sur sa propre vie et sur sa propre liberté, mais il en découle également le droit, ou l'obligation, d'intervenir quand un tiers est menacé ; car il faut que la loi naturelle reste en vigueur dans le monde humain, et le coupable qui s'en prend à la vie et à la liberté d'autrui manifeste la volonté de remplacer la Loi naturelle par la loi des rapports de forces. Il faut donc le punir de manière à le dissuader de persévérer dans cette intention.

Comme chez Hobbes, la société a son origine dans le pacte social, par lequel les hommes s'associent entre eux pour mieux garantir leur sécurité. Mais c'est librement qu'ils entrent dans le pacte, et aucune puissance, dans la société, ne rendra caduque la Loi naturelle. Les hommes qui entrent en société se mettent d'accord en édictant des lois, à la majorité. Le pouvoir législatif est fondateur de la démocratie, le judiciaire et l'exécutif lui sont subordonnés.

Aucune loi, votée à la majorité par l'instance législative, ne doit entrer en contradiction avec la Loi naturelle. La Loi de l'égale liberté s'impose à la réflexion, il faut la reconnaître comme le principe de ce qui doit ou devrait être dans le monde humain. Cette hiérarchisation du droit se retrouve dans la Déclaration de 1789, où les Droits de l'Homme sont évidemment de rang supérieur aux droits du citoyen.

Dans cette conception de la démocratie, la personne ne se trouve jamais dépouillée de son statut de partenaire de la comunication : interpellée par l'exigence de la Loi, elle est appelée à en répondre dans le monde humain. Si elle entre dans le pacte social, c'est de son propre chef. Et si elle s'y confronte à des lois qui ne lui conviennent pas, rien ne l'oblige à les approuver, bien que, pour autant, il ne soit pas question pour elle de les trangresser. Constamment respectée dans sa liberté, selon cette conception de la démocratie, la personne humaine n'est jamais réduite à un « Cela ».

Suite L’équivoque démocratique